Portrait : Olivier Mony, journaliste, critique littéraire et écrivain.
OLIVIER MONY
L’autodidacte lettré
BORDEAUX
Avant les fêtes, j’ai pris un café sur la terrasse du P’tit Bar à Saint-Seurin avec une des mémoires vives de Bordeaux : Olivier Mony, journaliste, critique littéraire et écrivain.
En sourdine ce jour-là autour de cet endroit phare d’un des quartiers les plus cossus de Bordeaux, le brouhaha de la vie urbaine du début d’après-midi sur le bitume, les pas pressés sur les pavés, le ratatam de travaux pas loin à la limite du supportable (comme souvent dans la ville) et le ding dong de la Basilique Saint-Seurin juste de l’autre côté de la rue.
Entre deux bouffées de cigarette et gorgées de son café allongé, Olivier m’a raconté son parcours atypique entrelacé de rencontres décisives, d’expériences fondatrices et de moments inoubliables avec toujours, bien chevillé au corps et au cœur, un profond sentiment d’appartenance à sa terre natale, Bordeaux et son pays de cocagne, le Pays Basque.
En préambule de notre entretien, il m’a confié : « Je me sens plus adolescent aujourd’hui qu’à l’époque de mon adolescence. Il y a un truc qu’il faut savoir : plus on vieillit, si on veut bien s’en donner la peine et contrairement à ce que l’on croit, plus les champs des possibles sont ouverts. Il faut juste en avoir conscience et se laisser aller. »
Je me suis dit sur le moment que cela sonnait comme le tout début d’un roman. Pas mal comme introduction !
L’itinéraire d’un autodidacte bordelais « pur canelé » : d’une jeunesse dans le quartier Saint-Seurin imprégnée de littérature et de cinéma à une première expérience professionnelle bordelaise déterminante.
Olivier Mony est né à Bordeaux dans les années soixante et a grandi rue de La Croix Blanche. Il y restera pendant vingt-cinq ans. Il a fréquenté les établissements privés du quartier Saint-Seurin durant toute sa scolarité : Ecole Saint-Gabriel et Saint-Seurin puis Collège et Lycée à Tivoli. Les week-ends et les vacances, direction le Pays-Basque, la région de son père. Saint-Jean-de-Luz, Biarritz et ses alentours n’ont donc plus aucun secret pour lui et il y file dès que possible.
Lors de notre entretien, Olivier ne s’attarde pas vraiment sur son parcours scolaire ni sur sa jeunesse. Ce qu’il revendique haut et fort, c’est d’être, depuis sa plus tendre enfance, un très grand lecteur féru de cinéma classique. Il évoque des premières fois avec la rencontre de certains textes qui l’ont totalement ébloui. En littérature, tout d’abord, avec le premier livre qu’il a lu de Patrick Modiano, un de ses auteurs fétiches, « Villa Triste » : « Une adhérence à ce qui est raconté et comment c’est raconté, surtout. Une grâce que je n’ai jamais oubliée » puis sur grand écran avec le western « Johnny Guitar » de Nicholas Ray qu’il a vu dans le cinéma bordelais « le Salon Jaune » qui n’existe plus aujourd’hui. « Jean-Dominique Gracia, inventeur de ce lieu magique de ma jeunesse vient de mourir. C’est une façon de lui rendre hommage que d’en parler. » Olivier se souvient d’un film qui se passait dans un pays qu’il ne connaissait pas (Les Etats-Unis), des personnages qui n’avaient pourtant pas son âge et qui vivaient des choses qu’il ne connaissait pas (une histoire d’amour passionnelle) mais il avait le profond sentiment que cette œuvre d’art lui parlait à lui très intimement. « Le film me regardait tout autant que je regardais le film, pour reprendre une théorie du critique de cinéma Serge Daney. »
En 1985, Olivier obtient « miraculeusement » son baccalauréat littéraire, section A1 à l’époque, grâce à ses notes de français. Il aimerait intégrer Hypokhâgne/Khâgne mais son niveau dans les autres matières est insuffisant. Il rentre alors en Faculté d’Histoire mais il n’y reste que quelques semaines car dans les années 80, la Faculté de Bordeaux est “un chemin de Damas” absolument sinistre et il a le profond sentiment qu’il n’a rien à y faire. Il décide alors de partir en Espagne quelque temps mais ne tarde pas à revenir en France pour entamer des études de Lettres… qu’il interrompt au bout d’un an et demi pour partir vivre au Mexique en 1988. Cette expérience sera fondatrice. Olivier la partage d’ailleurs en partie dans son roman « Ceux qui n’avaient pas trouvé place » paru en 2020 chez Grasset. Quand il rentre en France après ce moment particulier de sa vie, nouvelle désillusion : la Faculté de Lettres de Bordeaux ne lui paraît pas à la hauteur de ce qu’il a vécu Outre-Atlantique. Étant toujours très cinéphile, il va souvent dans un cinéma qui n’existe plus : le Centre Jean Vigot, rue Franklin, en plein centre-ville. Les animateurs du centre finissent par bien le connaître et lui proposent un jour de travailler à mi-temps dans le cinéma en parallèle de ses études. Très vite, cet emploi l’intéresse plus que le reste et il choisit de s’y investir à plein temps. Il va y rester trois ans. Durant cette période, il a mis en place un évènement qui a duré une semaine et qui a été décisif dans sa vie « Les Écrivains font leur cinéma » :
Les débuts d’Olivier dans le monde littéraire à Paris, plusieurs rencontres et moments déclencheurs et beaucoup de portes qui s’ouvrent.
Olivier part ensuite vivre à Paris et trouve rapidement un travail à la Maison des Écrivains, organisme relié au Centre National des Lettres qui s’occupe d’organiser ou de participer à des manifestations littéraires. On lui demande alors de créer une manifestation de littérature latino-américaine pendant le Festival du Film Latino-Américain qui a lieu chaque fin d’été à Biarritz. Pendant trois ans, il fait venir plusieurs grands écrivains comme Gabriel Garcia Marques, Carlos Fuentes, Mario Vargas Llosa. Ce fut une expérience majeure car c’est véritablement comme ça qu’il s’est lancé.
Quelques années passent et Olivier sent qu’il est temps pour lui de rentrer à Bordeaux et regagne son appartement rue du Jardin Public. Il avait gardé contact avec les gens avec lesquels il s’était lié d’amitié ou avec qui il avait une complicité professionnelle donc il a pu vite trouver des repères. Une opportunité qui changera sa vie ne tarda pas à se présenter :
Puis, en 2007 , Olivier remporte le Prix Hennessy du Journalisme Littéraire, unique prix littéraire décerné à un critique littéraire en France. C’est la première fois qu’un journaliste de presse quotidienne régionale le remporte dès le premier tour et coiffe au poteau des critiques littéraires très connus à l’époque. Le milieu se demandait d’où sortait ce type de Bordeaux ! Un fait d’arme supplémentaire qui lui ouvre beaucoup de portes.
Aujourd’hui, Olivier Mony travaille pour le journal « Sud-Ouest » en tant que Critique Littéraire depuis plus de 25 ans. Il coordonne les pages “Livres” dans l’édition du Dimanche. Depuis 2007, il travaille pour « Livre-Hebdo » qui est le journal des professionnels du monde du livre où il y a une section critiques et depuis peu, il collabore à un nouveau journal « La Tribune Dimanche » créé par les anciens du JDD.
Pour lui, cette combinaison de medias est très intéressante car ces journaux sont de nature différente : un titre de presse quotidienne régionale, un titre de presse professionnelle et un générique de presse nationale.
Il écrit également pour le Journal Municipal de La Ville de Talence qui lui permet de garder les pieds dans une forme de réel quotidien et de gagner sa vie car il ne pourrait pas vivre de son écriture, sinon.
“Je suis du quartier Saint-Seurin peut-être plus que de Bordeaux”
Olivier Mony m’a partagé son regard sur le Bordeaux de son enfance et des années 80, sur l’évolution du quartier Saint-Seurin et son affection toute particulière pour ‘le P’tit Bar’ qu’il fréquente quotidiennement.
Vitrine du P’tit Bar, place du Pradeau dans le quartier Saint-Seurin.
Portrait chinois
Quel enfant étais-tu?
J’étais solitaire, mélancolique et curieux.
Quelle empreinte voudrais-tu laisser?
Je me méfie du discours autour des valeurs mais je dirais le sens de la liberté personnelle et la nécessité de la gentillesse.
Ce que les gens ne savent pas sur toi?
S’ils ne le savent pas, c’est que je ne veux pas qu’ils le sachent!
Si tu étais un animal?
Un vieux chien fidèle.
Ta devise?
Si je devais en avoir une, ce serait ‘Il a cessé de procrastiner!’. A inscrire sur ma tombe.
Endroits que tu préfères à Bordeaux?
Toutes les fenêtres éclairées dans la nuit bordelaise.
L'objet qui ne te quitte jamais?
Mon téléphone.
Si tu devais mourir demain, tu ferais quoi?
Je serais envahi par la terreur.
Tes passions?
Le sport automobile et la grande BD franco-belge de l’après-guerre.
Les chansons et livres que tu aimes bien ?
Les livres de Patrick Modiano
Gatsby le Magnifique de Fitzgerald.
Les 19 aventures de Spirou et Fantasio dessiné par Frankin.
Tout Barbara.
Les projets dont tu es le plus fier aujourd'hui?
- Mes enfants
- Ne m’être jamais interdit. Je ne me suis jamais dit : “ça, je ne saurais pas faire.’
Ta prochaine première fois?
Quand je vais vraiment me mettre à la cuisine.