Portrait : Benoît Maurin, co-fondateur de Jean Fourche.
BENOIT MAURIN
L’entrepreneur placide
BORDEAUX
La première fois que j’ai croisé la route des vélos Jean Fourche, c’était à un salon qui mettait en avant les entreprises sociales et solidaires de la métropole bordelaise. Ce qui a d’abord capté mon attention fut leur nom. Une marque de vélo qui s’appelle Jean Fourche ? Grande amatrice de jeux de mots, j’ai souri et j’ai trouvé ça très bien vu. Puis… je vois leurs flyers. Je tombe sous le charme de leurs couleurs douces et de leurs accroches percutantes. Puis… mon regard glisse vers la vedette du stand : le fameux vélo Jean Fourche, tout de vert/bleu/jaune/rose vêtu, customisable à l’envi. Puis… j’ai parlé à Benoît Maurin, l’un des trois fondateurs de la marque et j’ai tout de suite voulu en savoir plus sur ce vélo pas comme les autres et sur toute l’histoire, l’univers et l’engagement qui se cachent derrière.
Benoît Maurin m’a reçu un Vendredi matin dans les locaux de Jean Fourche, juste derrière la gare Saint-Jean, à Bordeaux-Euratlantique. Deux salles, deux ambiances : dans la partie atelier, trois abeilles humaines s’affairaient à assembler et envoyer des vélos flambant neufs et deux autres s’organisaient pour faire une vidéo promotionnelle pour les réseaux sociaux. Dans la partie bureau open-space/salle de réunion/coin détente, certaines travaillaient derrière leur ordinateur, d’autres allaient et venaient. Il y avait le bruit de la machine à café, de discussions à voix basses et le cliquetis d’outils. Du béton, des touches de couleur, des bureaux et tables en bois clair design. Une atmosphère studieuse et cool qui collait parfaitement à la voix posée et calme de Benoît qui a pris le temps de (presque) tout me raconter.
La vie en pente douce et les mains dans le moteur : une affaire de famille.
Quand Benoît Maurin réfléchit au point de départ de son appétence pour le vélo, c’est d’abord à celui de ses grands-parents qu’il pense, sans doute fabriqué en France. C’est ensuite à celui sur lequel il a appris à pédaler qu’il fait référence avec en combo gagnant : fabrication française (bis), une seule vitesse et un système de rétropédalage pour faire de grands dérapages. Benoît a toujours adoré le vélo depuis tout petit sans pour autant en faire sa passion principale.
Adolescent, il a plutôt pratiqué la mobylette (une 103 SP) qui lui a été transmise par son grand frère. LA passion qui prenait toute la place, ce n’était pas celle de rouler mais plutôt celle de bricoler l’engin : le démonter, optimiser le moteur, l’échappement, le variateur pour trafiquer et en améliorer les performances.
Benoît a grandi à Alès entouré de trois frères et d’une sœur et a emménagé à Bordeaux à sept ans. Son père, très féru de mécanique, travaillait dans l’industrie donc il paraissait logique qu’ils grandissent tous « avec les mains dans le cambouis. » Ses deux grands frères ont fait des écoles d’ingénieurs par apprentissage. Benoît a sensiblement suivi la même voie : Bac Technologique, DUT Génie Mécanique à Lyon puis École d’ingénieurs en Mécanique et en Productique à Bordeaux. A l’époque, son but était de travailler dans l’automobile, les voitures anciennes figurant aussi au palmarès de ses passions. Il a cependant vite compris que c’était une industrie où l’individu était pressurisé : grosse productivité, grosse cadence… Il s’est rendu compte que ce n’était pas pour lui : il ne voulait pas passer sa vie au travail et dans le stress. La tête dans le guidon en intraveineuse, non merci ! Il a aussi envisagé de travailler dans la compétition automobile mais il se serait confronté au même problème avec, en plus, les allers-retours dans le monde entier. C’est finalement dans le domaine du nucléaire qu’il trouve son premier emploi. Cette industrie ne correspond pas forcément à ses valeurs mais il n’est ni pour, ni contre alors il tente l’aventure. Durant son temps libre, il continue de bricoler des vélos, des vieilles mobylettes et des voitures anciennes. Il fait carrière dans l’entreprise pendant dix ans. A la fin de cette période, l’ennui s’invite souvent dans son bureau :
Les débuts de l’entrepreunariat et une route à plusieurs virages : d’ un site internet qui propose un partage d’expériences de voyage, en passant par l’étude de la reprise de la marque phare de deux roues « Favor » jusqu’à aboutir à la création de Jean Fourche.
En 2017, ce sera finalement un de ses amis d’enfance, Julien, qui lui mettra le pied à l’étrier (à la pédale ?) pour quitter l’entreprise en lui proposant de monter la leur, Share Your Trip. Ils créent une communauté de voyageurs et l’incite à partager ses coups de cœur de voyage pour que ses membres s’inspirent du meilleur des expériences de chacun et élaborent leur voyage sur-mesure. Le concept n’a jamais trop décollé mais il leur aura permis d’avoir une première expérience entrepreneuriale dans le digital. L’entreprise existe toujours et s’appelle Best Itinerary. Au bout de deux ans, Benoît ressent le besoin de faire quelque chose de plus concret. Le secteur du voyage n’était pas une activité en adéquation totale avec ses valeurs de l’époque : il commençait à voyager moins et il ne voulait plus trop prendre l’avion. C’est alors que le vélo réapparut dans le paysage :
Dans le même temps, Benoît rencontre Maël et Mathieu, ses futurs associés.
Fin 2019, la décision de s’associer pour créer leur propre marque de vélo étant prise, les trois amis font des brainstormings en soirée avec leurs amis pour trouver le nom de la marque. C’est comme ça que Jean Fourche sort du chapeau comme une évidence. Ils confient l’univers visuel à une agence de communication et ils créent une landing page sur internet avec pour unique invitation : « Inscrivez-vous pour suivre nos aventures ! ». En parallèle, ils cherchent des partenaires pour produire leur vélo le plus localement possible, ils listent tous les composants et commencent à regarder où ils peuvent les sourcer en France ou en Europe. Benoît va au Portugal où il trouve leur futur fabricant de cadres.
Dans le même temps, Mathieu dessine le vélo. Le premier prototype est fabriqué au Haillan dans une entreprise qui fait de la métallerie. Ils le font peindre et l’assemblent eux-mêmes à l’Etincelle, l’association à Darwin qu’ils fréquentaient, commencent à rouler avec et à l’améliorer. Leur volonté était de créer un vélo pour tous les membres de la famille, unisexe, qui se partage facilement et avec une géométrie qui fait que, de 1, 50 m à 1,90 m, il est possible d’être en position droite et confortable. Leur source d’inspiration ? La marque finlandaise Jopo, dont ils sont fans, qui propose la même philosophie.
En 2021, le premier vélo qui sort de leur atelier correspond en tout point à leur volonté première.
A ce stade, ils n’ont pas d’usine de fabrication, aucune pièce détachée en stock, aucun processus de montage… rien… juste un prototype qu’ils présentent lors du Salon de Noël de Darwin. Ils attirent l’attention et des contacts rapidement : les personnes intéressées s’inscrivent à leur newsletter pour suivre de près leurs « changements de braquets ». En effet, des gens qui ont vu ce premier modèle ont acheté LE vélo trois ans plus tard. Ce salon a donc été leur première porte ouverte sur la cour des grands.
Ils ont ensuite organisé une prévente sur leur site internet avec, comme promesse : « Inscrivez-vous, versez un acompte ou la totalité et vous recevrez votre vélo dans quelques mois ! ». Cela a fonctionné : les cinquante premiers vélos mécaniques (de 690 à 990 euros) sont vendus.
Une fois en selle, comment l’industrialisation, l’option de l’électrique et la croissance se mettent en place :
A partir de là, tout s’enchaîne. Mode industrialisation activé ! Ils étaient « les talibans du vélo » : pour eux, l’électrique n’avait pas de sens pour du vélo de ville. Ils font fabriquer leur première série de cinquante vélos : cadres au Portugal, la peinture en France à côté de Lyon au départ et sous-traitance de l’assemblage dans une usine de vélo dans la région lyonnaise. Ils font des allers-retours Bordeaux-Saint-Etienne pour aller voir la production, mettre la main à la pâte sur la chaîne de production car il n’y a pas assez de ressources pour faire tourner la machine à plein régime et veulent comprendre et s’inspirer du process.
L’entreprise est créée dans la foulée.
Ils obtiennent leur premier prêt et ils sont accompagnés par Réseau Entreprendre Aquitaine. La première série est livrée puis les suivantes tous les deux-trois mois. La première année, ils vendent entre cent et deux cents vélos mécaniques. Idem en 2022. Ensuite, ils se rendent compte que s’ils veulent faire quelque chose de plus grand, il faut revoir leur copie et s’ouvrir à l’électrique mais pas n’importe comment : en étant durable, réparable et sans obsolescence. Ils se rendent vite compte que c’est une nécessité pour beaucoup de personnes (personnes âgées, personnes qui chargent du matériel et/ou des enfants ou encore qui ne pratiquent pas une activité sportive régulière). C’est également un vrai argument pour encourager les gens à délaisser leur voiture petit à petit.
Ils rencontrent alors le fondateur de l’entreprise « Gouach » située à Bordeaux qui produit des batteries bordelaises pensées pour être réparées et décident de s’associer à lui pour s’équiper. Ils font également appel à un motoriste qui utilise des composants asiatiques et qui les assemble dans une usine Renault à Flins. Le service après-vente est français. Tout cela permet aux trois associés d’arriver sur le marché avec un produit plus local que les autres : il y a quand même une finalité de création de main-d’œuvre en France avec ces deux entreprises. C’est comme ça que l’aventure de l’électrique commence.
En 2023, ils vendent cinq cents vélos en direct et dans une soixantaine de boutiques partout en France qui depuis, leur font confiance et sont prêtes à prendre des risques. Ils avancent petit à petit comme ça avec la moitié de leurs ventes en direct et l’autre moitié en boutique.
Dans leur discours commercial, ils prennent le positionnement d’un vélo cargo compact nommé « Jean I » qui a une forte résistance sur la partie porte-bagages arrière et qui peut porter jusqu’à 35 kilos. Il comporte également un plateau à l’avant fixe sur le cadre pouvant porter quinze kilos de marchandises. Très vite, de plus en plus de personnes leur demandent de pouvoir porter deux enfants ou un adulte à l’arrière. Le longtail de Décathlon vampirise le marché et fait connaître cet usage en masse. Fin 2024, le Jean 2 sort de leur atelier : vélo compact, plus léger que les autres, tout en pouvant porter deux enfants à l’arrière.
Mille vélos sont vendus en 2024. Entre-temps, en 2022, ils ont relocalisé l’assemblage dans leur atelier. Ils ont également eu l’opportunité de s’installer à Bordeaux-Euratlantique dans un local de 220 M2 qu’ils ont aménagé petit à petit. Un grand plus non négligeable : Il est possible pour les particuliers de visiter la chaîne de production sur place.
Jean Fourche, c’est aussi un gros travail sur la communication. Une entreprise comme la leur n’est rien si elle n’a pas une bonne présence digitale.
Quels changements notables et quelle suite pour Jean Fourche dans les prochains mois ?
En 2025-2026, un déménagement est prévu : ils vont investir des locaux de 800 m2 avec la volonté de toujours rester dans Bordeaux. Ils ont déjà presque finalisé la transaction. Ils veulent maintenir une qualité de vie au travail pour l’ensemble de l’équipe : tout le monde arrive en vélo avec le sourire et en bonne forme au travail et cela compte beaucoup.
Et sinon, un Jean III bientôt ? Non, il n’est pas encore dans leur tête car ils ne savent pas à quelle priorité ils veulent répondre pour le moment. Celle de 2025 : confirmer la croissance commerciale, bien se structurer, mettre en place les bons outils pour la suite parce qu’aujourd’hui, la cadence est assez folle même s’ils restent un petit acteur face aux mastodontes du vélo sans oublier la gestion du gros déménagement.
C’est tout ce qu’on leur souhaite ! Que Jean Fourche continue d’être une affaire qui roule.
Jean Fourche, une entreprise avec des valeurs fortes :
Jean Fourche est une SAS d’ESS qui collabore, entre autres, avec un ESAT pour l’assemblage et la fabrication de certaines de leurs pièces et accessoires.
Si vous commandez un vélo en couleur rose, Jean Fourche s’engage à reverser 5% du montant du vélo à la Ligue Contre le Cancer Gironde.
Jean Fourche, c’est une équipe de dix personnes dont beaucoup sont en reconversion :
Mathieu, co-fondateur : conçoit et industrialise les produits.
Maël, co-fondateur : marketing, communication et commerce.
Benoît, co-fondateur : finances, gestion et une partie du commerce.
Tuan : sur la ligne de production. Son grand jeu : assembler le plus de vélo possible en un temps record.
Flavien : sur la ligne de production, également.
Maëva : expédition et contrôle qualité.
Christèle : achats.
Eva : marketing et communication.
Paul : chargé d’acquisitions des particuliers et des professionnels.
JEAN FOURCHE
2 promenade des forges
33 800 Bordeaux.
Téléphone : 05 64 72 29 28.
contact@jeanfourche.fr
www.jeanfourche.fr
L’équipe de Jean Fourche. Crédit photo: Jean Fourche
Le vélo rose Jean Fourche X Ligue Contre le Cancer Gironde.
Crédit photo : Jean Fourche
Portrait chinois
Quel enfant étais-tu ?
Sportif, bricoleur et timide.
Quelle empreinte voudrais-tu laisser? Quelles sont les valeurs importantes pour toi ?
Une empreinte carbone faible :)
Je suis papa d’un petit garçon et j’ai à coeur de lui montrer qu’il faut savoir s’éclater dans la vie notamment dans le travail pour ne pas passer à côté de quelque chose.
La bienveillance, le respect de l’humain, l’entraide, la solidarité et l’écoute sont primordiaux pour moi.
Ce que les gens ne savent pas sur toi ?
Je suis passionné de vieilles automobiles.
Si tu étais un animal ?
Aucune idée.
Ta devise ?
L’espoir fait vivre.
Endroits que tu préfères à Bordeaux?
- Le Jardin Botanique, rive droite.
- Le CAPC
- Le Garage Moderne.
L'objet qui ne te quitte jamais?
Mes vélos.
Si tu devais mourir demain, tu ferais quoi?
Je partirais en trip vélo avec ma femme et mon fils.
Tes passions?
Le vélo, les puzzles (j’en fabriquais en bois à une époque avec une scie à chantourner).
Les chansons et livres que tu aimes ?
Mon dernier coup de coeur musical : le pianiste japonais Akira Kosemura.
J’adore l’auteur Arto Paasilinna parce que c’est un humour second degré finlandais qui me fait beaucoup rire.
Les projets dont tu es le plus fier aujourd'hui?
- avoir relocalisé l’assemblage de nos vélos ici.
- avoir créé des emplois.
Ta prochaine première fois?
Voyager en train en Europe.